lundi 1 décembre 2008

Présentation de l'exposition


Sculpting Time
évoque d’abord « le moment de sculpter ». Charlie Jeffery s’intéresse en effet aux dimensions physique et temporelle du geste artistique, il nous propose donc d’assister à la conception d’une œuvre pendant toute la durée de l’exposition: les objets trouvés et autres rebuts qui constituent sa matière première sont amoncelés, progressivement transformés, parasitant peu à peu les œuvres créées ces trois dernières années.

La sculpture de Charlie Jeffery ne se définit pas seulement par son résultat, l'œuvre-objet, mais aussi par l'expérience de la fabrication, du découpage, de l'assemblage. Il est d'ailleurs difficile de parler d'un aboutissement stable puisque l'artiste recherche au contraire la possibilité d'une sculpture évolutive, qui ne soit pas figée. Ainsi, il lui arrive de reprendre des éléments d'une œuvre pour en composer d'autres. On retrouve également ce goût pour le geste physique et pour l'évolution lorsque, armé d'une hache, il scinde en deux un objet comme une chaise ou un réfrigérateur, rappelant ainsi l'idée d'un état primitif de tout être vivant, lorsque une cellule se divise pour mieux ensuite se multiplier et devenir un organisme complexe.

Mais Sculpting Time doit aussi se comprendre comme « l’action de sculpter le temps », car Charlie Jeffery agit sur le temps comme matériau, notamment par son travail de decoupage et remontage video. Si le processus de création importe à l’artiste, la présence physique du regardeur qui entre en relation avec les œuvres à un moment précis, dans un contexte particulier, est également essentielle. Le mobilier qu’il conçoit est le meilleur exemple de cette préoccupation, et doit beaucoup à ceux de Franz West et de Michelangelo Pistoletto. Quant à l’idée d’une sculpture qui prenne compte de l’écoulement du temps, elle rappelle les sculptures-actions de Roman Signer, fortes sources d’influence pour Charlie Jeffery. Mais là ou Signer s’intéresse à la fugacité de l’instant, Jeffery en revanche recherche l’évocation d’un changement permanent et potentiellement infini, malgré tout ancré dans la matérialité de l’œuvre.

L’artiste travaille souvent à partir d’objets trouvés dans la rue ou de matériaux banals : carton, meubles usagés, polystyrène, mousse expansée, boue, poussière. Il ne s’agit pas ici d’une volonté écologique de recyclage, ce choix n’a pas de portée idéologique. A l’image du concept de « bas matérialisme » de Georges Bataille, Charlie Jeffery fait avec ce qui est là, à sa portée, sans chercher à ennoblir ces matériaux par leur transformation sans les placer au sommet d’une quelconque hiérarchie, au contraire des artistes matiéristes.

Mais il s’évertue à leur donner une forme, à révéler leur potentiel, en les reconfigurant jusqu’à faire surgir des résultats inattendus. Le langage est aussi un thème de prédilection de l’artiste. Il s’attache notamment à incarner des phrases percutantes dans des matières malléables, explorant ainsi la plasticité du langage, l’apparence, le rythme des mots, et nous poussant à nous arrêter face à des formulations qui s’avèrent plus complexes que ce que laisse croire leur apparence tautologique. En cela, et dans la diversité de ses approches créatrices, il se rapproche de Bruce Nauman, autre influence majeure.

A la vidéo, à la sculpture et à l’écriture s’ajoute un projet singulier, mené en collaboration avec Dan Robinson depuis 2005, le Mud Office. Ce « bureau de la boue », société fictive dotée de son site web, est une parodie grinçante du secteur tertiaire, proposant d’absurdes services liés à un matériau dont la valeur économique est proche de zéro, ce qui nous rappelle que l’œuvre de Charlie Jeffery comporte aussi une dimension humoristique touchant au nonsense. Le Mud Office, sous la forme du Mud Orchestra, participe à l’exposition par le biais d’une performance finale.

Sculpting Time rend compte de la multiplicité des pratiques de Charlie Jeffery. Il est au croisement de plusieurs voies, et l’absence de choix d’une trajectoire unique nourrit son œuvre, comme en témoigne Either or Either, premier élément de la série In/decision, créé pour l’exposition : cette paire de flèches bi-directionnelles, en plus de faire écho à sa préoccupation du double, montre bien que l’artiste est lui-même partagé face à une infinité d’alternatives. Ainsi, la division, notion qui traverse presque tout son œuvre, pourrait s’avérer être, plus qu’une simple méthode de travail, le reflet des tiraillements qui assaillent tout esprit conscient –à commencer par le sien.


Charlie Jeffery est né en 1975 à Oxford. Il vit et travaille à Paris. Point culminant de trois années de résidence à Mains d’Œuvres, Sculpting Time est sa première exposition personnelle.